WikiLeaks : défis et limites de la transparence
| 24.12.10 | 12h30 • Mis à jour le 24.12.10 | 15h23
Julian Assange homme de l'année? Time Magazine a hésité, puis lui a préféréMark Zuckerberg, le père de Facebook. L'homme de WikiLeaks, ou l'homme de Facebook? Le Monde a hésité aussi, mettant en plus dans la balance une femme exemplaire, qui n'a créé ni site pour fuites géantes ni réseau social, mais qui inspire tout un peuple par son idéal et son courage, Aung San Suu Kyi. Puis nous avons choisi Julian Assange – un choix confirmé par celui des lecteurs du Monde.fr.
Aung San Suu Kyi tente de libérer la Birmanie, Mark Zuckerberg a révolutionné la communication au quotidien sur Internet, Julian Assange a bouleversé les termes du débat public sur la transparence.
Le Monde s'est associé à ce bouleversement, en publiant, pendant quatre semaines, depuis le 28 novembre, des articles rédigés à partir d'une sélection de quelque 250 000 télégrammes du département d'Etat. ¿POR QUÉ VERSIONES, Y NO, TEXTUALMENTE, LAS FILTRACIONES?
L'ensemble de cette correspondance diplomatique confidentielle, de 2004 à 2010, a été mis à sa disposition ainsi qu'à celle de quatre autres titres de la presse mondiale, (The New York Times, The Guardian, Der Spiegel, El Pais) par WikiLeaks, l'organisation de Julian Assange en possession de ces télégrammes américains, objets d'une fuite massive.
Les télégrammes auxquels se réfèrent ces articles ont, eux, été mis en ligne après avoir été expurgés de toute donnée susceptible de mettre en danger les personnes qui y sont citées. Selon un processus agréé au départ avec WikiLeaks, les cinq journaux partenaires ont opéré eux-mêmes la sélection et le traitement des télégrammes choisis qui, une fois expurgés, ont été envoyés à WikiLeaks: 1 897 télégrammes (sur 250 000!) ont ainsi été traités, en quatre semaines.
Ce partenariat exclusif arrive à son terme et WikiLeaks, reprenant son autonomie, s'apprête à présent à élargir la diffusion des télégrammes à d'autres journaux, répartis sur différents continents. Selon Julian Assange, ces télégrammes seront expurgés soit par les organes de presse concernés, soit directement par WikiLeaks.
La publication de ces "mémos" a suscité de vives réactions. Enthousiasme chez certains de nos lecteurs, indignation chez d'autres. Condamnation par les diplomates d'un procédé qui met à nu leur travail, fondé sur la confidentialité. Craintes de voir émerger une "dictature de la transparence": aujourd'hui responsable, demain sauvage et totale? NUNCA LO SERÁ. NUNCA PODRÁ ELIMINAR EL SECRETO TOTAL.
Les pages "Débats" du Monde et du Monde.fr ont reflété l'intensité des interrogations d'ordre éthique, journalistique et politique soulevées par cette initiative d'un nouvel acteur de la communication et par la démarche de sélection, puis de filtrage, de médias traditionnels.
Il y a quelques jours, un quotidien norvégien, Aftenposten, a déclaré être en possession, à son tour, des 250 000 "mémos". Le ministre norvégien des affaires étrangères, Jonas Gahr Stoere, a demandé au journal de lui communiquer les câbles concernant les relations russo-norvégiennes, et a essuyé un refus. Cela lui a inspiré quelques réflexions, dont il a fait part sur le site de son parti: "Les rôles entre les médias et le pouvoir sont pratiquement inversés. Maintenant, c'est nous, le ministère, qui demandons à la presse l'accès à l'information!"
Tout en critiquant les fonctionnaires déloyaux auteurs de la fuite initiale, M. Stoere ne peut s'empêcher de trouver "fascinante" la lecture de cette "matière première"diplomatique.
"PERSONNAGES INTÉRESSANTS"
En France, le gouvernement n'a pas été fasciné, mais les contradictions qui émergent en son sein montrent qu'il n'y a pas de gestion simple de cette affaire. Après la condamnation des fuites par le président Sarkozy, Eric Besson, ministre chargé de l'économie numérique, a demandé, le 3 décembre, à un organisme jusque-là largement inconnu, le Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET), d'étudier la possibilité de mettre fin à l'hébergement du site WikiLeaks par une société française, OVH.
Le CGIET a remis son rapport le 10 décembre au ministre, qui l'a transmis à Matignon. Deux semaines plus tard, rien n'a filtré de ce rapport, également communiqué aux ministres de la justice, de la défense, de l'intérieur et des affaires étrangères, et la décision "au niveau interministériel" annoncée devrait attendre janvier.
En revanche, plus de 2 000 sites-miroirs de WikiLeaks ont été créés: une décision d'interdiction de l'hébergement de WikiLeaks par OVH serait non seulement juridiquement fragile, car elle relève en réalité de la justice, mais elle ne servirait à rien sur le plan pratique.
Quant au fondement politique de la position de M. Besson, deux simples phrases de Christine Lagarde l'ont fait voler en éclats, le 17 décembre, sur le plateau du"Grand Journal" de Canal+: Julian Assange et Mark Zuckerberg, a estimé la ministre de l'économie, "sont des personnages vraiment intéressants, l'un et l'autre déterminés à soutenir la liberté d'expression, qui me paraît une des libertés fondamentales".
Assange, le receleur de documents volés? "Je ne suis pas en train de me féliciter de tout ce qu'il a fait, a-t-elle ajouté, mais je crois qu'au cœur de l'action, c'est la liberté d'expression, avec ses succédanés, ses inconvénients." C'est bien, aussi, le problème de la Maison Blanche.
Sylvie KauffmannArticle paru dans l'édition du 25.12.10
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