L'affaire Garzon soulève deux questions embarrassantes pour l'Espagne d'aujourd'hui. L'acharnement évident d'une partie de la magistrature à se débarrasser d'un électron libre incommode traduit un inquiétant dysfonctionnement institutionnel. Pour avoir voulu se construire en réaction au franquisme, l'Espagne démocratique a accouché d'institutions malades de leur politisation, au premier rang desquelles la justice.
Et surtout, la stratégie de l'oubli n'a pas fonctionné. Plus que la défense d'un magistrat à la personnalité et aux méthodes controversées, la mobilisation de dizaines de milliers de personnes, ces dernières semaines à Madrid et ailleurs visait "l'impunité du franquisme". Les manifestants réclamaient "vérité, justice, réparation et solidarité avec les victimes", brandissant des photos en noir et blanc d'un grand-père ou d'un grand oncle enterrés quelque part dans les nombreux charniers de la guerre civile.
Ces Espagnols vivent mal qu'on veuille punir le seul magistrat qui, contre vents et marées, a cherché à les aider. En commençant à ouvrir les fosses au début des années 2000, ils ont inspiré au gouvernement Zapatero une loi "sur la mémoire historique", destinée à "fermer, honorablement pour tous, un chapitre tragique de l'histoire". Peine perdue : l'affaire Garzon révèle la persistance de deux Espagne héritées de la guerre civile. Il n'y a plus ni "rouges" ni "nationaux", mais une droite et une gauche prêtes à en découdre à tout propos.
En 1998, en ordonnant l'arrestation d'Augusto Pinochet, Baltasar Garzon avait gêné le gouvernement de M. Aznar, qui prônait auprès des démocraties d'Amérique latine l'exemple de la transition espagnole, fondée sur une amnésie volontaire. Aujourd'hui, les conservateurs refusent qu'on rouvre "les plaies anciennes", alors que les associations de défense des droits de l'homme, les syndicats et les juristes qui soutiennent Baltasar Garzon interrogent : "Les victimes de Franco valent-elles moins que celles de Pinochet ?"
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