lunes, 12 de julio de 2010

LE MONDE: "LA VICTOIRE DE LA PENSÉE"


Viril mais correct

La victoire de la pensée

La Seleccion pose avec la Coupe du monde, le 11 juillet à Johannesburg.
REUTERS/DYLAN MARTINEZ
La Seleccion pose avec la Coupe du monde, le 11 juillet à Johannesburg.

Ceux qui sont nés au foot dans les années 1980 ont grandi dans le souvenir hérité et sans images d'équipes légendaires à qui la mémoire collective accole une année : la Hongrie de 1954, le Brésil de 1970, les Pays-Bas de 1974. Puis les compétitions se sont succédé sans que ces tard-venus voient émerger une sélection nationale digne de la glorieuse estampille calendaire. Aujourd'hui, c'est fait. Quand bien même la stratégie bouchère des Néerlandais aurait payé, quand bien même la finale n'aurait pas vu le plus beau joueur du monde donner la victoire aux siens – joie de la justice, justice de la joie –, il y aurait désormais l'Espagne de 2010.

Certains préféreront dire: l'Espagne de 2008. Mais peu importe. Une équipe marque par son identité de jeu, et le jeu est une longue histoire. Celui produit par l'Espagne depuis deux ou trois ans vient des années 1970 et d'un pays dont les représentants contemporains portent si bas les couleurs orange. Puis il s'exile à Barcelone, où Cruyff perpétue et affûte, comme entraîneur, l'art de la passe jadis inventé à l'Ajax. Les champions du monde d'aujourd'hui sont pour la plupart issus de la politique de formation impulsée dans ce contexte.

Entre-temps, il aura fallu que les dirigeants espagnols tranchent la rivalité entre les internationaux du Barça et du Real. A cela, une défaite a beaucoup aidé: celle contre la France (1-3) en huitièmes de finale du Mondial 2006. Dans une interview donnée avant le début de la compétition, Torrès racontait que ce traumatisme avait déclenché au sein de la Roja une profonde réflexion. A l'époque, Barcelone raflait tout: c'est ce style qu'on adopta.

Une grande équipe se construit en pensant, et la grande pensée s'alimente d'observations. Au lendemain de la défaite allemande de 2008 contre l'Espagne,Joachim Löw regarda son bourreau pour comprendre les tenants de sa suprématie, et en adopta certains avec le bonheur qu'on sait. Comme un écrivain est d'abord un lecteur, un grand entraîneur est d'abord un très bon lecteur des matchs des autres.

A l'heure de la reconstruction nationale, les acteurs du foot français feraient bien d'observer les équipes qui ont actuellement douzelongueurs d'avance. Au lieu de quoi: le casque. Laurent Blanc n'a rien voulu dire pendant sa conférence de presse, si ce n'est qu'il interdira le casque sur les oreilles, comme Rama Yade l'avait préconisé. En 2004, Domenech avait marqué son arrivée en imposant les protège-tibias à l'entraînement. Aujourd'hui, l'outil principal de la reconstruction est à nouveau le fouet.

Une logique de guerre civile rédemptrice, quand il faudrait s'ouvrir sur le grand large d'un foot dont l'étape sud-africaine a confirmé la dimension mondiale. Les mêmes causes produiront les mêmes effets, et la France demeurera une nation de foot de seconde zone. Pas grave. Laissant les compatriotes se marcher dessus, on regardera Xavi et Iniesta se faire des passes. Et quand ils se retireront, il nous restera leur souvenir durable, éternel.

François Bégaudeau

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