Le football européen, métaphore de celle-ci. Une bulle spéculative nourrie par l'endettement (6,3 milliards d'euros), avec ses bons côtés (cela dope la croissance du PIB de la même façon que cela stimule les performances sportives) et ses risques de faillite, avec son inflation salariale et ses rémunérations délirantes pour ses joueurs-traders. Avec des régulateurs pleins de bonne volonté mais visiblement impuissants, une UEFA et son président Michel Platini désireux d'instaurer "un fair-play financier", un peu l'équivalent, pour le ballon rond, des normes de Bâle III pour les banques.
Comme par hasard issus des deux grands pays d'Europe, la Grande-Bretagne et l'Espagne, où la crise financière, le boom du crédit et de l'immobilier ont fait le plus de ravages et où les déficits atteignent aujourd'hui des records. Comme par hasard aussi au moment même où la Bundesliga, dont les matches sont à peu près aussi passionnants à suivre qu'une allocution du président de la Bundesbank, dégage des bénéfices. Vertueuse Allemagne dans son football comme dans ses finances publiques.
Arsenal, pour aggraver son cas, est sponsorisé par Fly Emirates, la compagnie aérienne de Dubaï, l'émirat qui a frôlé la faillite. Quant au Barça, il ne pratique pas seulement un football de rêve - des talents individuels sublimant le jeu collectif et réciproquement, un communisme qui fonctionnerait, en quelque sorte - mais offre des rémunérations de rêve à ses joueurs. Lionel Messi a gagné 33 millions d'euros en 2009. Et Thierry Henry 18,8 millions.
On pourrait naïvement se dire que percevoir par an 17 000 smic, quatre fois plus que le patron du CAC 40 le mieux rémunéré (Franck Riboud, Danone), dont les décisions engagent le sort de dizaines de milliers de salariés, c'est un peu beaucoup pour quelqu'un qui passe l'essentiel de son temps assis sur le banc des remplaçants et utilise sa main pour qualifier la France à la Coupe du monde. Presque choquant. Mais non, les Français, qui ont l'égalitarisme et la détestation de la richesse décidément très sélectifs, adulent "Titi" (33e au classement de leurs personnalités préférées), alors qu'ils sont prêts à pendre haut et court les PDG. Passons.
Du moins le possible éclatement de la bulle spéculative du foot européen (le club de Portsmouth vient de déposer son bilan) aurait-il l'avantage de faire revenir en France ses meilleurs joueurs. Ce qui serait une excellente nouvelle pour le championnat national mais surtout pour les finances publiques du pays. Les impôts de ces citoyens exemplaires, l'honneur de la nation, pourraient enfin contribuer au financement de nos hôpitaux et de nos écoles. Voilà un argument massue que Nicolas Sarkozy pourrait peut-être utiliser pour tenter de justifier le maintien de l'injustifiable, par temps de crise, bouclier fiscal.
Un grand merci en tout cas à Dominique Strauss-Kahn de nous avoir fourni une transition qui n'allait pas de soi pour revenir vers un sujet plus sérieux. "Le risque pour les économies européennes, c'est qu'elles se retrouvent en deuxième division, et non pas en première, avec les Etats-Unis et l'Asie", a affirmé le directeur général du FMI, pour qui la relégation pourrait survenir à un horizon de vingt ans. Si l'avenir économique à long terme de l'Europe s'annonce sombre, il ne se présente guère plus ensoleillé à court terme.
Inutile même de se lancer dans une comparaison avec la Chine, dont il se susurre que le taux de croissance pourrait avoir atteint 12 % au premier trimestre. Plus inquiétant : la croissance américaine devrait cette année dépasser de deux points celle de l'Europe (3,1 % contre 1,1 %). Simple question de résilience, assènent les économistes pour expliquer un tel écart. "Résilience", le grand mot est lâché, popularisé par l'ancien chef économiste de l'OCDE, Jean-Philippe Cotis, le Boris Cyrulnik de l'économie. Depuis trente ans, l'économie américaine a démontré sa capacité à rebondir après des chocs importants. Après le choc exceptionnel qu'a constitué la crise des subprimes aussi.
Reste à savoir d'où vient cette résilience. On pense immédiatement à des facteurs subjectifs, d'ordre psychologique. En gros, les Américains, optimistes invétérés, recommenceraient à consommer et à investir, contrairement à des Européens tristes et apeurés. C'est très tentant, mais très faux, selon l'économiste Patrick Artus.
Comme le prouvent les enquêtes d'opinion, les récents comportements d'épargne ou de dépenses des ménages, les Américains ne sont ni plus ni moins confiants dans l'avenir, n'ont pas plus ni moins le moral que les Européens - en vérité, il n'y a guère que les Français, en Europe, à se dire très très malheureux, ce qui ne les empêche pas, de façon un peu schizophrénique, de consommer beaucoup plus que la moyenne.
Il faut donc aller chercher du côté des éléments objectifs. Pas des politiques économiques, monétaires et budgétaires, comparables de part et d'autre de l'Atlantique. Mais, avance M. Artus, plutôt du côté de la structure géographique des exportations : 57 % de celles des Etats-Unis sont tournées vers les pays émergents à forte croissance, 23 % seulement vers la zone euro. Et du côté du marché du travail et de sa flexibilité. L'ajustement de l'emploi a été beaucoup plus rapide aux Etats-Unis qu'en Europe, ce qui permet d'y envisager une reprise plus soutenue (162 000 emplois ont été créés en mars). DSK a peut-être raison. Au sens propre. Dans vingt ans, les futurs Messi joueront peut-être tous dans des clubs américains ou chinois.
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