viernes, 9 de abril de 2010

SUICIDAS DE TÉLÉCOM

Edito du Monde
Les suicides à France Télécom devant la justice
LE MONDE | 09.04.10 | 13h40 • Mis à jour le 09.04.10 | 13h40

rance Télécom est loin, très loin, d'être sortie de la tourmente. Depuis des mois, la vague de suicides parmi les 102 000 salariés de l'entreprise - 32 entre 2007 et 2009, 12 encore depuis janvier - a fait de l'opérateur téléphonique le symbole du stress et de la souffrance au travail. Voire, plus largement, du malaise profond provoqué par des systèmes d'organisation ou des méthodes de management déstabilisantes et pathogènes.

La décision du parquet de Paris, jeudi 8 avril, d'ouvrir une information judiciaire, à la suite d'une plainte déposée par le syndicat SUD, ne va pas faciliter les efforts déployés par le nouveau patron de France Télécom, Stéphane Richard, pour tenter de briser cette spirale dramatique. Cette procédure a été ouverte pour "harcèlement moral et insuffisance du document d'évaluation de risques", sur la base du rapport accablant remis à la justice, en février, par l'inspection du travail. Même si le chef de "mise en danger de la vie d'autrui" n'a pas été retenu, l'enquête judiciaire pourrait viser directement trois responsables de l'entreprise : Didier Lombard, ancien PDG mais encore président non exécutif, Louis-Pierre Wenès, l'ancien numéro 2 écarté en octobre 2009, et Olivier Barberot, le directeur des ressources humaines.

Mais surtout, sous réserve que l'enquête le confirme désormais, le parquet donne crédit aux critiques très sévères formulées par l'inspection du travail contre l'ensemble de "la politique de réorganisation et de management" menée depuis 2006 par l'entreprise pour réduire ses effectifs et ses coûts et améliorer sa productivité. Au-delà de dysfonctionnements isolés dans tel ou tel service, au-delà de la détresse singulière de tel ou tel salarié, c'est un système qui est mis en cause, dans sa logique et ses modalités.

Ce n'est pas totalement nouveau. Le 10 novembre 2009, dans une affaire individuelle de harcèlement moral, la Cour de cassation avait élargi son jugement et estimé que le harcèlement peut être caractérisé par "des méthodes de gestion".

De même, après quatre mois de discussions, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord, le 26 février, sur le harcèlement et la violence au travail. Même si ce texte n'énonce que des recommandations de bonne conduite et reste donc de portée juridique limitée, il n'esquive pas complètement, comme le souhaitait le Medef, la responsabilité des modes de management et de fonctionnement de l'entreprise dans les situations de harcèlement.

La décision du parquet de Paris à l'encontre de France Télécom devrait accélérer cette prise de conscience. De manière certainement douloureuse, mais salutaire. La loi du silence qui a trop longtemps régné sur ce sujet est en train d'être rompue.

Après deux décennies de course effrénée aux gains de productivité et de pression croissante, voire aveugle, sur les salariés, elle doit conduire à une remise à plat, profonde et sincère, de l'organisation de l'entreprise. Afin de remettre le travail au centre et de lui redonner un sens qu'il a, trop souvent, perdu.


Article paru dans l'édition du 10.04.10

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