L'histoire aurait pu en rester là, entre fait divers politique et haut fait journalistique. Pas du tout. A Washington, et ailleurs, la chute du général McChrystal a un effet libérateur. Elle rouvre un débat central, suscite un flot d'analyses et de commentaires qui, tous, tournent autour de la même question : pourquoi sommes-nous en Afghanistan ? Interrogation qui en masque une autre : pourquoi ne gagnons-nous pas la guerre ? Réponse : parce que le pouvoir civil, si susceptible sur ses prérogatives, ne sait pas ce qu'il veut.
L'équipe McChrystal a sûrement tort d'afficher son mépris pour l'échelon civil dans la chaîne de commandement. Mais il est difficile de lui reprocher de s'étonner des contradictions des décideurs washingtoniens. Car, depuis le début, l'objectif de cette guerre n'est pas clair ou, plutôt, il est double - ce qui revient au même.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis et leurs alliés ont le feu vert de l'ONU pour renverser le régime de Kaboul alors aux mains des talibans. Ceux-ci sont des islamistes pachtounes - l'ethnie majoritaire en Afghanistan - formés et appuyés par le Pakistan voisin. Ils ont laissé l'Etat afghan se transformer en base d'appui pour Al-Qaida, le réseau terroriste d'Oussama Ben Laden.
Si l'objectif de la guerre était de chasser les talibans de Kaboul, c'est fait depuis 2002... Si la mission était de chasser Al-Qaida d'Afghanistan, elle est également accomplie. En 2010, les experts sont unanimes à dire qu'il ne reste rien de l'organisation de M. Ben Laden dans le pays. Mais l'ambition initiale des alliés était plus vaste. A la conférence de Bonn en novembre 2001, ils affichent leur volonté de transformer l'Afghanistan. Au diable le relativisme culturel : les Afghans, et surtout les Afghanes, méritent mieux que les pratiques moyenâgeuses des talibans. L'Afghanistan a droit à la démocratie.
A Washington, la mode est au nation building. La Maison Blanche de George Bush Jr est sous l'influence des néoconservateurs. L'Amérique a le pouvoir, et le devoir, disent-ils, d'installer l'Etat de droit là où règne la dictature ; elle peut reconstruire un pays, le transformer - comme elle l'a fait de l'Allemagne et du Japon en 1945. Problème : le nation building - version moderne du colonialisme ? - réclame du temps et de l'argent.
Les Etats-Unis et leurs alliés ne se donneront ni l'un ni l'autre : les démocraties supportent mal les conflits longs. On n'a jamais assumé l'objectif nation building en Afghanistan, ni en effectifs militaires requis ni en volume d'aide civile. Il aurait fallu dire aux opinions concernées, en Amérique et en Europe : nous sommes là pour un quart de siècle. Dès 2003, l'Amérique se désintéresse de l'Afghanistan. La priorité de Bush Jr devient l'Irak, qui va engloutir l'essentiel de l'effort extérieur américain post 2001.
Et, sur le terrain afghan, la situation se dégrade. L'aide économique et sociale tarde. L'insurrection talibane prend son envol, surtout dans le sud. Elle tient tête à l'OTAN. Si elle ne gagne pas la guerre, elle ne la perd pas non plus. Le pouvoir civil - à Washington, Londres, Paris, etc. - en tire une conclusion : il n'y a pas de solution militaire. Il faut négocier avec les talibans ; il faut les inclure dans l'Afghanistan de demain.
Ce qui place les soldats américains dans une situation pour le moins paradoxale. Ils se battent contre des talibans appelés à prochainement faire partie du gouvernement de Kaboul, et qui, en attendant, disposent de bases de repli dans un pays allié des Etats-Unis, le Pakistan, cependant que le chef de l'Etat afghan, le président Hamid Karzaï, mène, lui, sa propre politique ! L'ensemble sur fond de calendrier des opérations communiqué à l'avance : M. Obama a fixé à juillet 2011 le début du retrait des forces américaines d'Afghanistan.
Le général David Petraeus, qui succède à McChrystal, est titulaire d'un doctorat en relations internationales. Sujet : les leçons de la guerre du Vietnam. Comme son prédécesseur, David Petraeus pense qu'il est possible de contenir les talibans. Mais cette stratégie anti-insurrectionnelle suppose, disent-ils, que deux conditions soient satisfaites : disposer de renforts - ce sera fait fin août ; avoir du temps - ne pas être prisonniers de la date de juillet 2011.
Ils ont contre eux l'école menée par le vice-président Biden et l'ambassade américaine à Kaboul. Ceux-là prônent une stratégie antiterroriste. Ils jugent qu'il est inutile de s'épuiser à tenir le terrain dans les zones talibanes. Ils pensent qu'il ne faut maintenir qu'un minimum de troupes en Afghanistan, pour empêcher un éventuel retour d'Al-Qaida.
Barack Obama laisse sa chance à la stratégie McChrystal-Petraeus. Jusqu'en décembre, a-t-il dit. Alors, il devra sortir de l'indécision politique qui plombe cette guerre depuis 2001. Il devra choisir : rester en force en Afghanistan, pour accompagner la mise en place d'un gouvernement d'union nationale, ou bien amorcer un retrait rapide à partir de juillet 2011. En limogeant Stanley McChrystal, il a réaffirmé les prérogatives du civil sur le militaire : à lui de les exercer. Enfin.
Courriel : frachon@lemonde.fr.
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