La cyberéducation
17.09.10 | 16h07 • Mis à jour le 17.09.10 | 16h11
Il est des périodes où l'on sent le besoin de s'arrêter et de se poser des questions sur l'évolution du monde, sur la nature de cet environnement où nous avançons, poussés par les vents de l'industrialisation, de l'urbanisation, de la mondialisation, des modes et des tendances, de l'informatisation. Des moments où on descend ses yeux à hauteur d'homme, où plutôt à la hauteur de ses propres enfants et on se dit que ce sont eux qui continuent le chemin et c'est nous, parents, qui avons le devoir de les guider. Oui mais comment ?
Nos enfants appartiennent à l'univers de la médiatisation et d'Internet. Dès leur plus jeune âge, le Web est installé dans leur vie. S'ils ont parfois des grands parents encore réticents envers l'usage d'un ordinateur, leurs parents sont pour la plupart complètement connectés et disposent a minima de la technologie nécessaire à l'envoi d'un e-mail, quelle que soit, d'ailleurs, leur condition sociale.
Nos enfants, eux, ne sont ni séduits ni intéressés par Internet. Ils ont créé la culture du Web, ils y sont nés. L'écriture, au sens littéraire du terme ou la lecture pourrait, si les parents n'y prenaient garde, ne constituer que des sous-activités de cette néo-culture. Internet est leur média de communication, de réflexion, d'expression et de création.
Bien entendu, la grosse machine promotionnelle des Bill Gates, Steve Job et consorts a produit ses effets marketing avec succès et ces business men ont su créer un besoin, presque vital, chez les jeunes. Mais je pense que leur objectif a été largement dépassé par une génération qui s'est littéralement appropriée Internet. Et le risque, pour ces concepteurs de logiciels et gadgets en tous genre type Ipad ou smartphone, est de réduire Internet à un média alors qu'il constitue une vraie alternative aux rapports humains d'aujourd'hui.
Pourquoi une telle "r-évolution" ? Internet réunit trois qualités essentielles à ce que souhaite la jeunesse actuelle : il est virtuel, il est instantané et il est anonyme (ou semble l'être). Trois atouts qui corroborent l'individualisme exacerbé des jeunes du XXIe siècle. En effet, malgré les modes, les tendances définissant l'appartenance à un groupe, le "soi" est dominant face au "nous", qui avait mené leurs parents sur les barricades, à communier devant la chute du mur de Berlin ou encore dans les mouvements populaires.
Aujourd'hui la communication est virtuelle, elle s'exprime sur Facebook, Twitter ou Myspace. On a des "amis" qui ont les mêmes goûts ou les mêmes affinités mais rien ne nous oblige à les rencontrer ni même à les connaître puisque malgré notre cyberprofil, on reste anonyme, bien au chaud derrière son écran d'ordinateur. On chatte lorsqu'on a envie de se parler, sans bouger, sans réfléchir vraiment, instantanément, avec un langage minimaliste dont on a fixé la sémantique instinctivement, intuitivement, avec ses pairs, un langage qui reste incompréhensible par les anciens, ce qui confère à cette culture une identité communautaire et générationnelle forte. Si on s'interroge sur une définition, un concept, un personnage célèbre, un moment d'histoire ou tout autre sujet, on consulte immédiatement les moteurs de recherche ou encore Wikipédia, quitte à se contenter de l'approximation ou de l'inexactitude car on n'a plus le temps de s'interroger sur la véracité des sources ou le sérieux des informations fournies.
Face à ce constat, ne faut-il pas repenser notre éducation ? Ne sommes-nous pas en décalage face à des jeunes dont les valeurs communautaires sont radicalement différentes des nôtres ? S'interroger sur l'usage de l'ordinateur à la maison pour les plus jeunes devient illusoire. Alors que la société des pays industrialisés s'appuie largement sur l'usage d'Internet pour les démarches administratives par exemple, quel sens aurait l'interdiction par un parent d'utiliser cet outil incontournable ?
Bien entendu, nous en sommes encore à une ère de transition, intergénérationnelle où parents et enfants ont un rapport différent à la culture du Net. Cette période de cohabitation, de mutation culturelle, nous autorise, nous parents, à nous poser en censeurs sur la base des valeurs d'hier et… d'aujourd'hui mais sommes-nous les garants du monde de demain ?
Même si intuitivement nous pressentons les dangers de cette société individualiste, autiste peut-être, que préfigure l'ère du tout Internet, avons-nous les bons outils et la façon adéquate pour mener nos enfants vers le chemin de l'épanouissement ? Et cette notion d'épanouissement a-t-elle le même sens pour ces futurs adultes qu'elle a aujourd'hui pour nous ?
Rares sont les périodes de l'histoire où parents et enfants subissent un tel écart technologique et sans doute culturel. Ne devient-il pas difficile, dans ces conditions, de continuer à maintenir un lien intergénérationnel quand on ne voit pas, on ne parle pas des choses de la même façon ?
PARLER ENFIN LE MÊME LANGAGE
Il est temps de définir avec nos enfants un mode de communication interactif, une éducation partagée où, au lieu de s'opposer, il convient de s'adapter. L'information immédiate et instantanée est séductrice mais ne faut-il pas apprendre à nos enfants à comprendre, comparer, expliciter les faits ? Il convient à mon sens de leur apprendre à ne pas se contenter de l'analyse clés en main que nous imposent les médias, mais à se fabriquer son propre jugement en puisant dans différentes sources d'informations par exemple. N'est-ce pas là le rempart à la manipulation des esprits ? C'est à nous, parents, de leur enseigner que l'espace temps, s'il se réduit à un simple clic lorsqu'il s'agit de télécharger un film ou de la musique, de consulter une bibliothèque en ligne, que cette rapidité n'est pas la référence et qu'il faut prendre le temps pour aimer l'autre, pour faire de vraies rencontres avec de vraies personnes, pour parcourir le monde ou pour apprécier l'écriture d'un bon roman.
Nous avons la chance d'être témoin du basculement d'un monde à un autre. L'éducation que nous devons dispenser à nos enfants doit absolument intégrer les outils du XXIe siècle, pour transmettre les valeurs que nous savons essentielles à la bonne continuité du monde, grâce à notre expérience, aux leçons de l'histoire et aux témoignages.
L'éducation nationale a le devoir de se réformer dans ce sens, sous peine de créer des générations de frustrés, d'être confrontée à une éducation parallèle et concurrentielle non maîtrisée. Comment peut-on enseigner si l'on est déconnecté du monde de ses élèves ? Comment combattre les démons d'Internet (pornographie, jeux d'argent, sites illégaux…) si l'on n'en maîtrise pas les enjeux et les faiblesses ? Il devient nécessaire de parler enfin le même langage sans chercher à tout prix à imposer le sien. Exploiter l'image, l'interactivité, circuler avec intelligence et clairvoyance sur la toile pour trouver les bonnes informations et les bons outils de connaissance sont les vecteurs de l'apprentissage de demain.
Il est grand temps d'arrêter d'être aveugles et de laisser nos enfants s'orienter sans boussole dans ce monde qui les a déjà happés. Nous avons le devoir d'enseigner à nos enfants que les relations sont avant tout "humaines" et l'amour qu'ils nous portent est la preuve qu'ils en ont encore conscience.
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