"Une histoire politique des intellectuels", d'Alain Minc : Minc et les intellectuels
| 25.09.10 | 14h15 • Mis à jour le 27.09.10 | 09h36
Le dernier ouvrage d'Alain Minc est un livre ambitieux, trop ambitieux peut-être, qui se propose de retracer, des Lumières à aujourd'hui, l'histoire politique des intellectuels. Il brille par sa sagacité, sa virtuosité parfois, mais à vouloir ainsi chevaucher les siècles, de Voltaire à Bourdieu, de Mme de Staël à Internet, il manque de profondeur.
Alain Minc savait les risques qu'il prenait : le terrain a été souvent arpenté avant lui, tant les intellectuels aiment parler des intellectuels. Connaissant ses classiques, les travaux de Michel Winock en particulier, auquel il se réfère, il devance les objections qu'il pressent : "Intellectuel de pacotille, je prends le risque de m'attaquer à la corporation la plus durablement puissante de notre pays. De multiples pas de côté, des impasses voulues, des choix assumés (...), d'innombrables jugements à l'emporte-pièce : tous les ingrédients sont là pour un procès en sorcellerie."
Cette promesse d'un livre iconoclaste était, on s'en rend compte dès les premiers chapitres, difficile à tenir. Résultat : il oscille entre l'essai dérangeant qu'il prétend être et la fresque de khâgneux. Pour embrasser les siècles, il ne s'en cache pas, Alain Minc a eu recours aux services d'un jeune normalien qui l'a nourri d'"extraits d'ouvrages". Il s'en sert un peu trop. Les fiches de l'intéressé submergent souvent son propos. Car Alain Minc, l'essayiste, est un homme pressé. Une page sur Foucault, un paragraphe sur Deleuze et Guattari, une page sur Bourdieu, rien sur Derrida...
On attendait, sur ces vaches sacrées, des flèches qu'il décoche trop rarement. Et surtout un bilan de la "pensée 68". Ironiser sur le passé maoïste de Philippe Sollers ou tresser des louanges à Bernard-Henri Lévy - qui fut "mao" lui aussi - ne tient pas lieu d'analyse.
Ce livre dense mais superficiel réserve heureusement d'excellentes surprises. Voltaire, Chateaubriand, Hugo, Malraux inspirent à Alain Minc des pages authentiquement personnelles qui montrent ce qu'aurait été un projet abouti. Chateaubriand surtout, qu'il présente comme un imposteur doué pour la mise en scène héroïque de lui-même : "Chateaubriand a inventé une nouvelle espèce : l'intellectuel fantasmatique. Ses rêves se muent, grâce aux métamorphoses du talent, en actions, ses illusions en pouvoir, ses foucades en influence."
Chateaubriand n'a d'égal que Malraux, un parallèle que trace Alain Minc au meilleur de son style : "Même culte de sa propre vie, même éclectisme, même talent pour enfermer l'Histoire dans une trajectoire individuelle. Ils sont l'un et l'autre narcissiques, névrosés, mythomanes, majestueux et dérisoires (...). Avec néanmoins deux différences : Malraux a davantage l'intuition de l'Histoire, Chateaubriand est un écrivain sans rival."
On aurait aimé qu'Alain Minc prenne avec autant d'audace Sartre à bras-le-corps. Il en parle d'abondance, mais en réalité il évite le sujet, si bien que son livre passe à côté de ce qui aurait dû en faire le prix : "Pourquoi les intellectuels français se sont-ils mis (...) à penser de plus en plus faux ? Pourquoi parviennent-ils à mener souvent des combats empreints d'humanisme et simultanément à divaguer idéologiquement ?"
UNE HISTOIRE POLITIQUE DES INTELLECTUELS d'Alain Minc. Grasset, 416 p., 20,90 €.
Bertrand Le Gendre
Article paru dans l'édition du 26.09.10
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