"La Maison de l'histoire de France n'est pas un brûlot de propagande"
pour Le Monde.fr | 18.11.10 | 11h57 • Mis à jour le 19.11.10 | 17h44
DANS UN CHAT SUR LEMONDE.FR, FRÉDÉRIC MITTERRAND, MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION, ASSURE QUE LA MAISON DE L'HISTOIRE DE FRANCE "NE RELÈVE PAS DU DÉFUNT DÉBAT SUR L'IDENTITÉ NATIONALE". - Nestor : Ne pensez-vous pas, par la volonté même de construire ce musée, relancer le débat houleux de l'histoire et de l'identité en France ?
Frédéric Mitterrand : Cher Nestor, il n'est pas question pour moi de m'inscrire dans cette perspective. Je tiens seulement à ouvrir un lieu et un ensemble de liens qui permettent de questionner cette matière tellement vivante et évolutive qu'est l'Histoire. En ce qui me concerne, il est question d'Histoire et de rien d'autre.
Gaulois : Ne pensez-vous pas que l'histoire de France est multiple et que nous avons donc des histoires de France ?
Je dirais que l'histoire de France est effectivement multiple et que si c'est un fleuve, en vérité pas très tranquille, il charrie un ensemble de rivières et de torrents différents. A cet égard, on peut dire qu'il y a différentes études historiques, par exemple l'histoire de l'école, l'histoire des femmes, l'histoire du climat, l'histoire "classique" des événements, des batailles, des rois, etc.
Mais il y a aussi différentes écoles pour appréhender ces genres d'histoire. Et donc c'est cette multiplicité-là qui est précisément intéressante et pour laquelle la Maison de l'histoire entend offrir un champ d'investigation et de dialogue.
Diabaram : Dans les années 1960, Malraux lançait des dizaines de maisons dans les quartiers pour démocratiser la culture, promouvoir l'éducation populaire et rendre autonome les habitants. En 2010, vous ne lancez qu'une Maison, car le ministère n'a plus les moyens de ses ambitions, pour promouvoir l'identité nationale et forger de bons petits Français. Quel décadence, ne trouvez-vous pas?
Cher Diabaram, je conçois votre inquiétude et je ne suis pas surpris par la manière dont vous l'exprimez. Mais je ne peux pas souscrire à cette présentation.
D'un côté, les maisons de la culture lancées par André Malraux sont devenues la multiplicité des centres culturels qui parsèment notre territoire, qui se comptent par centaines et sont soutenues très largement par l'Etat, et nous sommes bien au-delà des chiffres de l'époque Malraux. Et d'autre part, la Maison de l'histoire de France n'est pas ce brûlot de propagande dont certains s'inquiètent, mais un lieu de transmission et de dialogue qui interrogera toutes les histoires et toutes les histoires aussi en dehors de la France, évidemment.
Arnaud Tagnachie : J'aimerais savoir comment cette Maison de l'histoire de France va prendre en compte l'aspect multiculturel de notre pays ?
Je pense qu'il est difficile de nous reprocher de ne pas être profondément attentifs à la dimension multiculturelle de notre pays. Toute mon activité passée depuis quarante ans a été pour valoriser, précisément, le côté pluriculturel de notre pays. Pour le Conseil scientifique de la Maison de l'histoire de France, qui sera la cheville ouvrière de l'institution, je veillerai très attentivement à prendre en compte cette dimension dans sa composition.
Ce qui ne veut pas dire que le Conseil serait une juxtaposition de communautarismes, erreur grave si on la commettait, mais en revanche, un lieu d'échange entre personnes particulièrement attentives à la diversité culturelle. Qu'elles appartiennent à cette diversité culturelle, ou qu'elles l'aient étudiée en tant qu'historiens, sociologues, géographes, etc.
Guy : Qui sera chargé de trancher dans les controverses toujours vivantes pour présenter certains événements passés ?
Cher Guy, je pense que la question n'est pas de trancher entre les controverses, mais au contraire de les laisser s'exprimer en fournissant le maximum d'éléments pédagogiques pour que chacun se fasse une opinion.
La Maison de l'histoire de France ne doit évidemment pas être un lieu désordonné où tous les arguments auraient forcément la même valeur, mais en revanche un lieu d'expositions et d'échanges où les éléments les plus objectifs devraient suffire. Au public à définir son propre jugement.
Enfin, l'ordre des questions évoquées, leur indexation, la manière dont on peut poursuivre sa réflexion personnelle à travers des films ou des lectures seront indiqués chaque fois par le ou les commissaires des expositions temporaires, qui seront eux-mêmes désignés par le Conseil scientifique.
Blériot : Est-il vraiment utile et indispensable d'engager un tel projet alors la France est en période de restrictions budgétaires ?
Cher Blériot, votre pseudonyme est en lui-même tout un programme et une réponse. C'est précisément dans les périodes de difficultés et de restrictions qu'il faut mettre en avant de grands projets, et notamment dans le domaine culturel, puisque l'on a encore plus besoin de connaissances et de repères pour ne pas être affecté par la rigueur des temps.
Identité funeste : Que répondez-vous à Pierre Nora qui dénonçait, dans Le Monde, l'origine "impure et politicienne" de ce projet, à savoir son lancement par Nicolas Sarkozy pendant le débat sur "l'identité nationale", vocable aujourd'hui abandonné ?
Je réponds à Pierre Nora ce que je lui ai dit pas plus tard qu'hier soir, lors d'un long entretien que nous avons eu, empreint comme toujours de respect, de confiance et de cordialité réciproques, que le projet de Maison de l'histoire de France ne relève pas du défunt débat sur l'identité nationale, même s'il n'y a aucune honte non plus, bien sûr, à réfléchir sur le concept d'histoire de France, comme il l'a fait lui-même tout au long de son œuvre remarquable.
Bertrand : A qui cette Maison de l'histoire de France s'adresse-t-elle ?
A vous.
mohamedgastli : Quel est le coût de réalisation de ce projet ?
Le coût de réalisation du projet, pour l'instant, se situe autour de 60 millions d'euros. Mais ce n'est qu'une approximation pour l'instant.
Jean-Claude : Pouvons-nous revenir un instant sur le choix du lieu pour cette Maison de l'histoire de France, qui a tant fait polémique: l'hôtel Soubise. Des compensations sont-elles prévues pour les Archives nationales qui comptaient sur ce bâtiment dans leur projet de réorganisation à l'horizon 2013, pensé depuis de longues années?
Plusieurs sites avaient été envisagés, et j'ai passé plusieurs mois à les visiter. Ces sites enfermaient la notion de Maison de l'histoire de France soit dans l'histoire militaire, soit dans l'histoire de la monarchie, et en aucun cas dans la continuité de l'histoire, qui doit précisément être ouverte.
La construction d'un lieu nouveau pour signifier que la notion d'histoire est une notion qui ouvre l'avenir s'est révélée trop coûteuse ou trop mal desservie par les transports, ce qui me semble dommageable à une entreprise qui est destinée à un large public.
En revanche, le site des Archives, bien plus que l'hôtel Soubise qui n'en est qu'une partie, correspond à l'idée même des témoignages et de la mémoire de l'histoire. De vastes espaces seront libérés par la construction en cours du nouveau site des Archives, qui représentent plus de deux fois le précédent espace, lequel conservera une partie non négligeable de son propre fonds en même temps que son autonomie juridique et culturelle.
Les projets de réinstallation et de redéploiement qui n'ont jamais été validés par aucun ministre, contrairement à ce qui a été dit, font l'objet d'une attention détaillée de ma part, et je n'exclus pas de m'y référer pour l'affectation des espaces considérables qui vont être libérés par le déménagement.
Mais il est exclu pour moi, en revanche, de revenir sur le principe de l'installation de la Maison de l'histoire de France ou de l'ouverture des jardins. Il y a de la place pour tout le monde et pour une collaboration harmonieuse pour peu que l'on accepte de dialoguer.
Lola : Avez-vous entendu le mécontentement des salariés des Archives nationales qui ne comprennent pas qu'on prenne un tiers de l'espace des Archives qui en manquent déjà terriblement ?
Je ne suis pas sourd.
Ducher : Cette réalisation sera-t-elle créatrice d'emplois ?Il est prévu que les Archives dans leur ensemble créent environ 70 postes supplémentaires à l'horizon 2013. Je n'ai pas le chiffre absolument exact, mais c'est de cet ordre-là. En ce qui concerne la Maison de l'histoire, tout est encore à l'étude.
Identité funeste : Vous vous promettiez de convaincre les personnels de l'hôtel Soubise, où est prévue l'implantation de la Maison de l'histoire de France, du bien fondé de ce projet. Ils y sont opposés et ils occupent toujours les lieux. Avez-vous échoué ?
Non. Les discussions de cet ordre sont toujours longues et ma porte est toujours ouverte pour résoudre les dernières difficultés qui resteraient en cours.
Enfants5 : Comment parler de "consensus très fort" alors que le personnel des Archives ainsi que de nombreux historiens s'opposent au projet ?
Le consensus très fort, vous le trouverez parmi l'assistance nombreuse qui était à Blois, parmi le nombre de gens qui lisent des livres d'histoire, parmi le nombre de gens qui suivent les émissions historiques à la télévision. Et aussi parmi un certain nombre de prises de position publiques qui méritent d'être retenues avec autant d'attention que celles qui critiquent le projet.
YB : Quels sont les points de l'histoire que vous désirez mettre en avant à travers ce musée? Ou plutôt quelles périodes de l'histoire ?
Je ne souhaite mettre en avant aucun point de l'histoire particulier, puisque l'histoire est une continuité et de surcroît, un espace qui s'élargit sans cesse en fonction des regards que l'on porte sur elle et sur chacun des fragments et des chapitres qui la composent.
Je rappelle que la Maison de l'histoire, ce n'est pas seulement un lieu avec une galerie chronologique qui rappelle les repères essentiels, avec des salles d'exposition temporaire où sont évoquées les questions que pose l'histoire, mais que c'est aussi une confédération souple de l'ensemble des musées qui traitent de l'histoire en France, métropolitaine et outre-mer, des sites qui évoquent l'histoire, ainsi qu'un portail qui permettra de faire l'inventaire le plus ouvert et le plus objectif possible de toutes les pistes de réflexion concernant l'histoire.
La réussite d'une manifestation comme les Journées de Blois, par exemple, est due précisément à cette ouverture et à cette rencontre permanente et extrêmement féconde entre toutes les périodes de l'histoire et toutes les écoles qui les évoquent.
C'est dans cette direction que je travaille.
Parapente : N'est-il pas paradoxal, voire incohérent, de réduire l'enseignement de l'histoire au lycée à la portion congrue et de vouloir, en même temps, ouvrir un musée de l'histoire de France ?
Dire qu'on réduit l'enseignement de l'histoire à la portion congrue à l'école, ça me fait bondir. C'est absolument faux. Ce n'est pas parce qu'il y a eu une disposition particulière pour une section particulière des terminales que l'on peut parler de réduction à la portion congrue. En revanche, je constate que l'intérêt pour l'histoire dans toute la société n'a jamais été aussi fort.
Antoine : Ne pensez-vous que dans une période de crispations et d'inquiétudes sur l'avenir de l'Europe, la création d'une Maison de l'histoire de France ne risque pas d'être vue comme un signe de repli ?
Au contraire, cher Antoine. C'est en connaissant son histoire ou l'histoire de l'Europe et d'ailleurs fortement intriquées que l'on pourra mieux éviter les catastrophes que l'histoire a connues. C'est en ayant connaissance des dérives catastrophiques qui ont pu avoir lieu dans le passé, chez nous comme chez d'autres, que l'on disposera des connaissances pour affronter tous les défis d'un monde en évolution très rapide.
Pascal Ratier : Vous parlez d'un réseau des musées d'histoire. Est-il possible d'envisager qu'à l'international, en dehors des musées européens, des musées algériens, africains, en fassent partie, afin de constituer une histoire à deux voix ?
Votre expression "histoire à deux voix" me semble insuffisante. Je préfère "histoire chorale", ou "symphonique", l'histoire à multiples voix. Et à cet égard, le recours à des musées ou à des institutions qui se trouvent partout dans le monde est évidemment une bonne chose.
Mais si votre question suppose une particulière attention aux questions soulevées par l'histoire coloniale, compte tenu de la sphère géographique que vous envisagez, ma réponse est que toutes les collaborations dans ce domaine seront sollicitées et que l'histoire coloniale dans son ensemble fera évidemment partie du programme de la Maison de l'histoire.
Mathieu J. R. : Cette Maison de l'histoire de France ne risque-t-elle pas de paraître comme une volonté de la part de M. Sarkozy de faire comme le musée du quai Branly de M. Chirac ?
Je conçois que cela puisse être perçu comme cela par l'opinion. Car en vérité, c'est une tradition française qui remonte à la nuit des temps et qui veut que les gouvernements successifs pilotent de grands projets culturels. Et tous les présidents de la Ve République ont fait de même.
Au fond, est-ce vraiment dommageable ? La Pyramide du Louvre, le Musée d'Orsay, les Arts Premiers sont désormais reconnus et admirés. De surcroît, le Musée de l'histoire est un projet très ouvert, finalement beaucoup plus souple et libre que les projets précédents. Et enfin, il faut bien voir que ces projets se construisent sur des consensus très forts.
Si la Maison de l'histoire suscite des controverses, c'est toujours le cas dans ce domaine, mais elle suscite aussi beaucoup d'intérêt et de curiosité auprès de l'opinion publique. Les grands projets se construisent au carrefour d'une volonté et d'un intérêt collectif.
Maya : Comment comptez-vous constituer un comité scientifique pour ce projet, alors que la communauté scientifique est unanime pour le critiquer ?
Mais ma chère Maya, la communauté scientifique n'est absolument pas unanime pour le critiquer. Il y a beaucoup plus de concours pour soutenir la Maison de l'histoire que vous ne le pensez, et la composition du Conseil scientifique vous le prouvera.
Ne vous laissez pas entraîner par l'habituel climat de controverse qui entoure toujours, en France, la réalisation des grands projets culturels.
Thomas : Quand annoncerez-vous le nom du président du conseil scientifique ? Annoncerez-vous simultanément la composition de ce conseil ?
Je n'annoncerai pas le nom du président du Conseil scientifique, puisque c'est le Conseil scientifique qui désignera son président. Je ne serai que le porte-parole. En revanche, le Conseil scientifique sera, je l'espère, constitué avant la fin de cette année.
fernand : Vous n'avez pas été "remanié", contrairement à d'autres personnalités d'ouverture. Ce qui vous apparente plus à Besson qu'à Kouchner. Cela vous gêne-t-il ?Je ne sais pas de quoi vous parlez.
Chat modéré par Olivier Biffaud
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