Edito du Monde
Aubryréalisme
LE MONDE | 21.01.10 | 13h13 • Mis à jour le 21.01.10 | 13h13
uand il était premier ministre, Lionel Jospin prônait volontiers le
"réalisme de gauche". Sur le dossier épineux, et même tabou, de la réforme des retraites, Martine Aubry tente de convertir le Parti socialiste au même pragmatisme. Le 17 janvier, la première secrétaire du PS s'est, en effet, déclarée ouverte au débat,
"si le président de la République est prêt à travailler véritablement sur la base de principes justes". Pour démontrer son ouverture d'esprit sur l'âge légal de la retraite, elle a jugé qu'
"on doit aller, qu'on va aller très certainement, vers 61 ou 62 ans".
Le PS revient de loin. Par une ordonnance du 26 mars 1982, Pierre Mauroy avait abaissé à 60 ans l'âge de la retraite. Dès lors, la conquête sociale s'est muée en dogme. Qu'importent les problèmes de financement ou l'allongement continu - de deux mois en 2009 - de l'espérance de vie, la retraite à 60 ans était gravée dans le marbre. En 1990, le Livre blanc de Michel Rocard avait posé un diagnostic sans suite, si ce n'est la réforme de 1993... d'Edouard Balladur pour les retraites du secteur privé. En 1995, le PS s'était dressé contre Alain Juppé, qui voulait mettre les fonctionnaires au diapason du privé. M. Jospin se borna ensuite à créer un fonds de réserve sans fonds pérennes. Et en 2003, à son congrès de Dijon, le PS allait encore plus loin que la CGT en réclamant l'abrogation de la loi Fillon sur les retraites.
En levant le tabou des 60 ans, Mme Aubry ne manque pas de "courage", comme l'a souligné M. Rocard. Elle a pris le risque de se mettre à dos son aile gauche, arc-boutée sur le principe, et a rejoint le camp des réalistes. François Hollande et Bertrand Delanoë, pour ne citer qu'eux, sont sur la même ligne.
Peaufinant sa stature de présidentiable, la maire de Lille joue surtout habilement. Elle se dit prête à débattre avec le gouvernement d'un sujet qui embarrasse tant la gauche qu'elle préférerait, au cas où, que la droite le règle avant 2012. Elle met aussi des conditions, en évoquant une retraite "à la carte", qui tiendrait compte, comme le réclament les syndicats, de la pénibilité du travail.
Le jeu peut être gagnant-gagnant. Si Nicolas Sarkozy échoue et renvoie la réforme des retraites après 2012, Mme Aubry pourra dénoncer le dogmatisme de la droite et son refus de rechercher des compromis avec les syndicats, toujours divisés. Si le président de la République parvient à ses fins, la première secrétaire du PS pourra partager les dividendes de la réforme. Et récolter, juste avant 2012, un brevet de pragmatisme.
Article paru dans l'édition du 22.01.10
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