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Quand je regarde en arrière, c'est le plaisir qui domine, parfois, la fierté, jamais l'amertume. Je sais que j'ai mêlé ma vie à une grande aventure collective : celle de la renaissance en France du courant socialiste et du rassemblement de la gauche. Or, dans ce mouvement, je me suis personnellement accompli et j'ai servi mon pays. Des regrets ? Quelques-uns, bien sûr, et parmi eux, le 21 avril 2002 ; car nous savons tous qu'avec un peu moins de légèreté et d'imprudence à gauche, le sort de l'élection pouvait être tout autre.
On sait aujourd'hui que vous avez hésité un long mois avant de vous présenter.
Oui, à cause des divisions de la gauche. Je me suis interrogé avec François Hollande : "Dois-je y aller dans ces conditions ?"
Vous admettez "votre responsabilité entière" dans la défaite de 2002. Etait-ce la défaite d'un homme ou d'un camp ?
J'ai pris cette responsabilité, moi qui partais, pour en dégager les autres et donner toutes leurs chances à mes successeurs socialistes. Mais je n'ai pas été la cause première de la défaite. A l'évidence, si la gauche était partie groupée, il n'y aurait pas eu d'éviction au premier tour et la victoire était ensuite possible. La leçon d'hier vaut pour aujourd'hui.
Vous avez annoncé votre retrait de la vie politique le soir du 21 avril 2002 mais, depuis, vous faites de fréquentes réapparitions. Quelle place vous réservez-vous dans la vie politique ?
Je ne me réserve aucune place. Mais s'il existe un paysage politique, peut-être suis-je une butte témoin, un témoin engagé.
Et parfois plus que cela. En 2007, vous avez bien failli revenir.
J'ai vu qu'il y avait un problème de leadership pour conduire la campagne présidentielle. Un certain nombre d'amis ont souhaité que je revienne dans le jeu. Je me suis donc interrogé. François Hollande, le premier secrétaire, ne s'est pas déterminé. Il y a eu la candidature de Ségolène Royal. J'ai alors évoqué avec Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius l'hypothèse de ma candidature, mais ils m'ont proposé de concourir tous les trois. Je ne les ai pas suivis.
Vous souhaitez que votre livre soit "utile à tous ceux qui, à gauche, veulent retrouver le chemin du pouvoir". De quelle façon peut-il l'être ?
C'est un récit personnel, mais c'est aussi une histoire des socialistes et de la gauche sur un demi-siècle, écrite de l'intérieur par un de ses acteurs. Or nous avons besoin de connaître et de nous approprier notre histoire. Ce récit donne des analyses, souligne le rôle des hommes, éclaire des moments-clés qui montrent peut-être ce qui pour la gauche permet la victoire ou entraîne la défaite. Si ce livre comporte des enseignements, notamment l'importance de l'unité, c'est aux responsables actuels de les tirer.
Pourquoi François Mitterrand est-il le seul socialiste à avoir gagné une présidentielle sous la Ve République ?
Sans doute en raison de son exceptionnel talent. Mais après lui, la victoire a été deux fois possible. L'unité a fait défaut en 2002 et la crédibilité en 2007.
Vous insistez sur le sens du collectif et la notion de transmission. Est-ce parce que ces liens se sont distendus que le second septennat Mitterrand a été beaucoup moins réussi que le premier ?
Cela a pu jouer. Aussi, quand je vois la désinvolture avec laquelle le président Sarkozy traite son gouvernement et sa majorité, son obstination à se mettre seul constamment en scène, je me dis que la deuxième partie de son quinquennat peut être difficile.
Vous avez pratiqué "le droit d'inventaire" à l'égard de François Mitterrand. Quel est votre jugement aujourd'hui ?
Je lui dois quelques-unes des plus belles années de ma vie, un enseignement politique, la direction du PS, une formation à l'exercice du pouvoir. En retour, je lui ai donné beaucoup de moi-même. Aujourd'hui, je ne le juge pas. Je le raconte. Je reviens sur des années de grande intimité politique.
Gouverner, est-ce forcément décevoir ?
Si on croyait à la fatalité de la déception, on se laisserait pénétrer par la mélancolie, ce qui n'est pas le sentiment le plus propice à l'action.
Est-ce par crainte de cette mélancolie que vous avez eu du mal à assumer en 1983 le tournant de la rigueur ?
Mon livre montre au contraire que je l'ai accepté parce qu'il était la seule manière d'éviter la débâcle économique et financière. Quand j'ai évoqué "une parenthèse", c'était pour marquer qu'un ajustement n'est pas forcément une politique durable.
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy peut-il échapper à la rigueur ?
Comme il ne veut pas modifier sa politique économique en demandant plus d'efforts à ceux qui ne souffrent pas de la crise et parfois l'ont provoquée, il est condamné à la fuite en avant. Le réveil risque d'être brutal.
Auriez-vous accepté de coprésider une commission comme celle sur l'emprunt, à l'instar de Michel Rocard et d'Alain Juppé ?
Non. J'ai vu le président de la République deux fois, à sa demande, dans le cadre de consultations républicaines. Il a évoqué des possibilités de ce genre. Je lui ai dit en souriant que je n'avais pas l'intention d'être un scalp de plus à sa ceinture.
Le PS n'a-t-il pas trop tardé à faire son aggiornamento idéologique sous les septennats Mitterrand ?
Ce qu'on peut nous reprocher, c'est, après les illusions de 1981, d'être ensuite parti trop loin dans l'autre sens. Nous avons défendu le franc fort, accepté la dérégulation pendant le second septennat. D'une certaine façon, mon gouvernement, en 1997, a refermé la "parenthèse" en conciliant croissance et respect des équilibres, réduction massive du chômage et réalisme économique.
Mais sans jamais clarifier la doctrine.
Contrairement à M. Sarkozy qui nous noie sous les discours - mais il ne théorise pas, il verbalise -, j'ai peut-être eu un peu trop tendance à penser que les actes parlaient pour nous.
Une partie de la gauche ne s'est pas retrouvée dans votre bilan. Pourquoi ?
Cette partie de la gauche, à savoir l'extrême gauche, ne s'y retrouvera jamais. Elle n'est à l'aise que sous la droite.
Vous regrettez d'avoir attendu mai 2001 pour admettre votre passé trotskiste. Pourquoi avoir tant tardé ?
Sans doute parce que je suis rebelle devant les interrogations et les confessions. Et puis je pensais que tout cela était derrière moi. Si c'est un regret, il est mineur, car cela n'a pesé que sur moi.
"La pensée socialiste correspond aux exigences de l'époque", écrivez-vous. N'a-t-elle pas, au contraire, fait son temps ?
Aujourd'hui, nous touchons aux limites du libéralisme économique. Quels sont ses présupposés ? La dérégulation économique, la déréglementation sociale, le prétendu autocontrôle des marchés, l'inévitabilité de la financiarisation, l'obligation de serrer les salaires au bénéfice des profits, la non-intervention de l'Etat dans l'économie, l'inéluctabilité des inégalités. Or tout cela a débouché sur la crise mondiale la plus grave depuis les années 1930.
Nous avons besoin aujourd'hui d'une réduction et d'une mise sous contrôle de la sphère financière et de la spéculation, d'une régulation raisonnable de la vie économique, d'une intervention raisonnée des Etats et des organisations internationales dans la sphère économique - on les a appelées comme pompiers, il faut les accepter comme architectes - et d'un partage des revenus moins défavorable aux salariés. Or ce sont là des idées centrales de la pensée socialiste.
La social-démocratie n'est-elle pas débordée à gauche par la vague écologiste ?
L'écologie est une des idées neuves de la fin du XXe siècle. Mais elle n'efface pas le champ des interrogations sur les relations des hommes entre eux dans lequel s'inscrit la pensée socialiste. Ne venons-nous pas de voir la "vague écologiste" se briser à Copenhague sur le mur des égoïsmes et des intérêts corporatistes de court terme ? Le courant socialiste reste, à mes yeux, irremplaçable.
Quel est votre jugement sur la taxe carbone ?
Telle qu'elle a été préparée, et annulée par le Conseil constitutionnel, la taxe carbone signe surtout la façon désastreuse avec laquelle travaillent le président, le gouvernement et la majorité. L'obsession de l'effet d'annonce et la prise de décision sans débat, dans un cercle restreint tout en haut à l'Elysée, font négliger l'expertise et le sérieux dans la préparation des textes. Le nombre de projets qui ont été censurés faute de solidité juridique, hâtivement transformés devant les réactions hostiles ou abandonnés en route parce que non praticables, commence à faire masse. L'équipe au pouvoir gouverne mal.
A quelles conditions le PS peut-il imposer son leadership sur la gauche ?
Il ne s'agit pas d'imposer mais de convaincre. Si le Parti socialiste traduit ses valeurs et ses idées en un programme d'action, rassemble ses talents (nombreux) autour d'un leader reconnu, s'oppose à la droite de façon pertinente et clarifie sa stratégie d'alliances, il convaincra. C'est, me semble-t-il, ce qu'il cherche à faire. J'espère qu'il y parviendra pour l'échéance de 2012.
Vous insistez sur la crédibilité de la gauche. Qu'est-ce qu'une gauche crédible ?
C'est une gauche qui offre aux Français une construction politique capable de présenter une alternative à la droite. Nous l'avions réussi avec l'union de la gauche, puis avec la gauche plurielle. Cela reste à refaire.
Pourquoi refusez-vous toujours aussi fermement une alliance avec le centre ? Je pars d'une réflexion plus large. Dans le socialisme européen, il y a trois types de partis : les partis dominants, les partis influents, les partis d'appoint. Le PS français n'a jamais été un parti dominant capable de gouverner seul comme le Labour britannique, la social-démocratie suédoise ou le Pasok grec. A partir des années 1970, et grâce à la rénovation conduite autour de François Mitterrand, le PS est devenu un parti influent, capable de rassembler la gauche et de la mener au pouvoir. Ce que je crains, c'est qu'un jeu de dupes avec le centre nous fasse perdre notre crédit et nous ramène au statut de force d'appoint.
Le quinquennat, pour lequel vous avez milité, vous donne-t-il satisfaction ?
Le quinquennat en général, oui ; l'actuel, non.
Le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral n'ont-ils pas dévié vers l'hyperprésidence ?
Le quinquennat nous rapproche des autres pays et est un bon rythme pour la démocratie. Tenir l'élection présidentielle avant les législatives est logique tant que le président est élu au suffrage universel. Quant à "l'hyperprésidence", elle n'est pas conforme à l'esprit des institutions et elle provoque bien des dysfonctionnements au sein du pouvoir. J'espère quelle prendra fin dans deux ans.
N'y a-t-il pas, aujourd'hui, une nostalgie de la "dream team" de votre gouvernement ?
J'aime bien qu'on regrette un peu l'équipe gouvernementale que je conduisais. C'était un temps où, en matière de gouvernance, chacun était à l'aise dans sa fonction : les ministres, le premier ministre, le Parlement, les collectivités locales, les corps intermédiaires... et même le président, car nous respections son rôle. La France progressait et la vie était moins injuste. J'espère que la gauche nous offrira, un jour, une nouvelle "dream team".
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