Depuis, Mme Ashton délègue. Lundi 25 janvier, c'est le Français Bernard Kouchner qui l'a représentée à Montréal, lors d'une conférence des donateurs en faveur d'Haïti. La haute représentante rechignait à repartir en Amérique du Nord après un voyage aux Etats-Unis à la fin de la semaine précédente. Elle devait, a-t-elle expliqué, présider à Bruxelles une réunion des ministres des affaires étrangères dominée par la crise haïtienne. L'UE a pourtant fait des pieds et des mains pour se faire inviter à Montréal, alors que les Etats-Unis, le Brésil et le Canada ont lancé l'initiative, sans, dans un premier temps, y associer le Vieux Continent, premier donateur pour Haïti...
La valse-hésitation de Mme Ashton illustre les débuts laborieux du nouveau pouvoir européen qui résulte du traité de Lisbonne. Le texte était censé améliorer le fonctionnement des Vingt-Sept. Va-t-il plutôt le compliquer ? L'Europe communautaire offre désormais quatre visages au monde et le partage des rôles est très ambigu. Le tandem constitué par le Belge Herman Van Rompuy, le premier président permanent du Conseil, et Lady Ashton a du mal à prendre ses marques. Le président de la Commission défend son territoire, comme la présidence tournante, assurée par l'Espagne ce semestre.
Du coup, Bruxelles ne semble toujours pas disposer du fameux "numéro de téléphone" que réclamait en 1970 Henry Kissinger, ancien secrétaire d'Etat américain. "Le dispositif est en période de rodage, mais le démarrage n'est pas fameux", concède un diplomate.
Herman Van Rompuy mesure le risque de la situation. Il a pris l'habitude de rencontrer, tous les lundis, le patron de la Commission, José Manuel Barroso, lors d'un petit déjeuner. Mais en dépit de ces rendez-vous, les deux hommes se livrent déjà une lutte feutrée pour savoir comment articuler leur mission respective, en particulier sur la scène internationale. Tout en cultivant la discrétion, M. Van Rompuy se fait, il est vrai, une idée extensive de ses fonctions.
Officiellement, l'ex-premier ministre belge "étudie ses dossiers" et fait le tour des capitales avant le sommet qu'il a convoqué, à Bruxelles, le 11 février. Il entend y évoquer les questions socio-économiques, climatiques, ainsi que la reconstruction d'Haïti. M. Van Rompuy a compris l'importance d'une bonne communication : auprès de son porte-parole de toujours, Dirk De Backer, il a placé Jesus Carmona, ancien adjoint du coordinateur européen de la politique antiterroriste, ainsi que Luuk Van Middelaar, un jeune et brillant universitaire néerlandais qui rédigera ses discours. Mais, avant le 11 février, motus : le président ignore les demandes d'interviews qui affluent.
Au-delà, peut-il surprendre et se détacher de la tutelle de Paris et de Berlin, qui ont parrainé son entrée en fonctions ? Sur sa résidence bruxelloise, M. Van Rompuy a fait inscrire son slogan : "La solidité tranquille". Mais, dans les couloirs du Conseil, les avis sont très partagés. "Herman est un diesel, il démarre lentement, mais il a de la puissance, ironise un Belge qui l'a bien connu. Quand il va s'emparer d'un sujet, il faudra se lever tôt pour le déloger." "Il a du caractère, une ligne. Mais son manque de charisme va l'handicaper. Comme son silence, qu'on commence à assimiler à de l'incompétence", nuance une autre source.
En face, M. Barroso se méfie d'une intrusion du président du Conseil sur ses plates-bandes. "Tout est dans le traité : c'est la Commission qui représente les Vingt-Sept dans tous les domaines qui ne relèvent pas de la politique de sécurité", a-t-il martelé devant les eurodéputés.
Le président de la Commission est entravé par l'entrée en fonction tardive de sa nouvelle équipe, pas avant la mi-février. Mais il a pris soin de fragmenter les compétences en matière de politique étrangère au sein du collège, dont Mme Ashton sera la vice-présidente. Trois commissaires seront incontournables quand la haute représentante voudra s'occuper d'aide humanitaire, de développement, ou de relations avec les Etats voisins.
M. Barroso a, par ailleurs, placé son "sherpa" dans les réunions internationales, le Portugais Joao Vale de Almeida, à la tête de la direction générale "Relex" (relations extérieures), une des composantes du futur service diplomatique commun que Mme Ashton est chargée de construire. Pour l'instant, la Britannique a gardé son bureau au siège de la Commission. Son équipe est un savant mélange de diplomates et de fonctionnaires, dont la mission sera de bâtir des ponts entre deux institutions - la Commission et le Conseil - jalouses de leurs compétences.
L'attitude de la présidence tournante espagnole, quatrième pièce du nouveau puzzle, n'arrange rien. Lors d'une récente réunion du Quartet sur le Proche-Orient, à Bruxelles, le ministre espagnol des affaires étrangères, qui n'était pas convié, s'est invité à une réunion aux côtés du premier ministre norvégien, de Tony Blair, de Bernard Kouchner et... de Catherine Ashton. Madrid ne veut pas être oubliée et José Luis Rodriguez Zapatero a fait en sorte que plusieurs sommets, donc ceux avec les Etats-Unis et l'Amérique latine, se tiennent en Espagne, et pas à Bruxelles, comme le prévoit le nouveau traité.
A ses visiteurs, le premier ministre espagnol explique que sa mission est d'animer les débats... présidés par M. Van Rompuy. Avant le sommet du 11 février, le dirigeant socialiste a relancé l'idée controversée d'un "gouvernement économique" et parlé de "sanctions" contre les gouvernements qui ne respecteraient pas les engagements pris en commun. Le traité de Lisbonne ne confère, pourtant, aucune prérogative à la présidence semestrielle.
"Nous avons préparé notre présidence sans certitude quant à l'entrée en vigueur du traité", justifie Miguel Angel Moratinos. Le chef de la diplomatie espagnol se serait bien vu dans le siège de haut représentant et ne se gêne pas pour exploiter la discrétion du binôme Van Rompuy-Ashton. Histoire de se rendre indispensable...
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