Ne pas voter, c'est déjà ne pas croire dans la capacité du politique à améliorer le cours de l'existence, sinon à changer la vie. Ce pessimisme de fond n'est pas nouveau. Mais il est aujourd'hui plus pesant, plus douloureux comme à l'issue d'un amour déçu, à proportion de l'optimisme qu'avait pu soulever en 2007 l'élection d'un président se faisant fort à lui seul d'améliorer le sort de tous.
Hélas, ces promesses furent si contrariées que le désenchantement l'emporte au-delà de l'imaginable. Le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, dans un récent entretien au Monde, avait parlé d'une "société française fatiguée psychiquement". Une France au bord de la crise de nerfs, incapable de se projeter dans un avenir commun, se détournant du collectif et souffrant de se fragmenter sans trouver dans l'Etat ou la politique un secours adapté à ses maux : chômage de longue durée, gonflement des "fin de droits", désespérance de ces quinze millions de personnes tirant le diable par la queue, et pour qui finir le mois se joue à 50 ou 150 euros. Samedi encore dans nos colonnes, Jacques Attali soulignait à la fois le potentiel industriel de notre pays, sa place de leader dans de nombreux secteurs, et sa tendance à l'autoflagellation.
On ne saurait imputer ce comportement au seul échec du sarkozysme au pouvoir, même si la remontée du Front national témoigne de la déception des classes populaires qu'avait su séduire le volontarisme de l'actuel président. Sans doute faut-il chercher plus en profondeur les raisons de cet "aquoibonisme" qui tétanise les Français. En ouverture de son enquête annuelle sur l'état de l'opinion TNS Sofres (publiée au Seuil) Brice Teinturier, sous le titre "Les Français et le bonheur intérieur brut", rappelle que la crainte de déclassement est plus forte ici que partout ailleurs en Europe. Admettant que ce pessimisme extrême reste "très largement inexpliqué et en grande partie mystérieux par sa profondeur", on saisit mieux pourquoi la gauche triomphante est apparue dimanche si peu triomphale.
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